Abdon Fortune KOUMBHA: « Les africains ont des histoires à raconter a travers leur théâtre, il faut juste leur donner un peu de moyens »
La 24e édition des Journées théâtrales de Carthage s’est déroulée à Tunis du 02 au 10 décembre 2023 avec une faible participation de l’Afrique Centrale. Un constat qui ne saurait passer inaperçu. Alors, dans le but de savoir ce qui constitue réellement le frein à cette participation, nous sommes rapprochés du directeur de artistique et directeur de festival Mr. Abdon Fortuné KOUMBA, ici sur notre micro.
Bonjour Mr Abdon Fortuné KOUMBA. Alors vous participez à la 24e édition des Journées Théâtrales de Carthage en tant que directeur artistique et directeur de festival. Est ce que c’est facile pour un africain permettez, de l’Afrique noire, de prendre part à ce genre d’événement et constater que l’Afrique noire n’est pas vraiment représentée ?
Bonjour Olivier, en effet, je suis Abdon Fortune KOUMBA, certains m’appellent “KAF”. Comédien, conteur metteur en scène. Je suis directeur de l’Espace Tiné, un théâtre à Dolisie au Congo Brazzaville, directeur du festival Dol’En Scène, la biennale de petites formes théâtrales de Dolisie et aussi expert membre du comité artistique international du MASA Afrique Centrale.
Déjà, j’ai été au Festival de Carthage en 2001 en tant qu’artiste et là aujourd’hui, je reviens en tant que directeur de festival. Oui, je pense que le festival de Carthage a un peu changé, il sélectionne les spectacles et demande à certains spectacles de se prendre en charge.
L’Afrique Subsaharienne a beaucoup de problèmes parce que nos Etats ou les ministères de la culture qui existent disent toujours ne pas avoir de l’argent. C’est une réalité qu’on trouve presque partout. On ne sait pas pourquoi ces ministères existent, ni pourquoi ils devraient exister si ce n’est pour investir dans la culture.
Et donc, le mécénat étant un peu trop compliqué dans nos territoires, il est souvent difficile parfois pour les créations de bonnes factures de venir participer à ce genre de festival qui est une vitrine un peu plus importante pour ces créateurs. Parce qu’il y a des programmateurs qui, peut être, ne vont pas dans nos pays et qui ne peuvent voir nos spectacles que dans de pareils événements.
Je pense aussi que les artistes devraient un peu se prendre en charge, se faire entourer des gens qui s’y connaissent un peu dans le métier, les administrateurs, les entreprises culturelles, les techniciens, pour que le metteur en scène s’occupe uniquement de l’artistique, de la mise en scène et que les administrateurs essaient de chercher peut être que dans nos pays, on peut trouver de l’argent pour permettre à ces spectacles de se déplacer.
Car, c’est au contact de l’autre qu’on s’enrichit. Sinon j’aurais souhaité qu’il y ait beaucoup de spectacles de l’Afrique noire. C’est un peu gênant de contacter une si faible représentativité des spectacles de l’Afrique noire a un tel événement d’envergure,
Vous avez embraye sur cette question de savoir: est- ce que les qualités des spectacles de cette Afrique sont capables de compétir avec ceux de l’Europe, de l’étranger ou de l’Afrique du Nord, quand on sait qu’on a déjà du mal à se prendre en charge?
Il y a dans cette question plusieurs volets, mais j’en retiendrai deux. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas beaucoup de moyens financiers qu’on ne peut pas créer des spectacles de facture. Non, ce qu’on appelle accessoire au théâtre, est un accessoire comme son mot l’indique. On peut ne pas l’avoir.
Si on veut créer un spectacle en se disant, ce spectacle devrait voyager, on doit déjà tenir compte de beaucoup de paramètres.
Donc il faut déjà qu’à partir de la création, on commence à se demander pour quel public on crée le spectacle? Parce que ce n’est pas forcément dans notre territoire qu’on vend nos spectacles. Après il faut qu’on se demande quels moyens je peux avoir tant sur le plan artistique que financier. Et c’est ce que je disais plus haut, lorsqu’on voit ce qui se passe ailleurs, on voit les spectacles des autres, forcément on se remet en question. Ce n’est pas seulement de dire est ce que la qualité qui viennent de nos pays peuvent compétir?
Si, il y a des bons spectacles qui existent. Comme partout ailleurs on peut aussi trouver des spectacles de moindre facture, ce sont des oeuvres humaines et l’œuvre humaine ne pourrait être parfaite. Par contre, l’art c’est ce qui est beau, c’est ce qui touche le cœur et quand on fait un travail intéressant, ça peut ne pas plaire à tout le monde, mais, il peut toucher les sensibilités des uns et des autres. Tout le monde vient raconter une histoire, mais c’est la façon de raconter cette histoire qui diffère
Alors, vous avez dit que vous êtes comédien conteur, metteur en scène et directeur de festivals. Comment avez-vous réussi justement à gravir tous ses caps pour être autonome aujourd’hui?
Quand on est né dans un pays comme le Congo Brazzaville, quand on y a grandi, on a fait ses études là bas et on a commencé à faire du théâtre dans ce pays qui n’a pas d’école de théâtre, donc qu’on a appris sur le tas, et quand on a fait de ce quand on a appris sur le tas une passion, sans même savoir que ça pouvait être un métier, c’est qu’on prend plaisir.
Moi, ce que je dit c’est que, j’aime ce métier parce que c’est un des rares métiers pour lequel quand on va le pratiquer, on dit qu’on part jouer. Alors comment jouer quand on ne prend pas plaisir? Il y a des gens qui se lèvent tôt le matin pour aller au boulot et le font par contrainte parce qu’ils ont besoin d’un salaire à la fin du mois. Mais moi, je vais travailler, je dis je vais jouer.
Donc déjà, quand on fait de sa passion un métier on doit mettre tous les moyens pour que ça marche. Et la formation est perpétuelle. La vie est une grande école, on apprend tous les jours. On dit: “le cours d’eau a fait des méandres faute de n’avoir pas été conseillé”. Donc il faut parfois écouter et après faire un tri. Après le subconscient nous refoule les vieux souvenirs, nous avons des choses à raconter. Quand je dis nous, ceux de l’Afrique centrale, on a des choses à raconter mais c’est comment? Sinon,on tomberait dans le mimétisme croyant que le théâtre n’a qu’une seule forme.
Moi j’aime dire aux gens, quand les japonais viennent en France ou dans les pays que je connais bien avec le Nô, on ne leurs dit pas que ce n’est pas du théâtre. Mais quand l’Africain vient, on lui demande de faire du théâtre comme les français font du théâtre. Mais nous acceptons, parce que nous n’avons peut être rien à proposer ou parce que nous ne connaissons pas notre histoire.
Mais quand nous allons commencer à raconter notre histoire en y mettant de l’esthétique, en y mettant le beau, en y mettant les choses, les codes, les gens font dire ah oui, ils se retrouvent. Sinon on va raconter les histoires des autres nous même on n’existera pas. Donc, Il faut investir dans le théâtre, il faut investir dans l’humain, dans l’intelligence. L’Afrique a besoin de raconter son histoire. il faut s’organiser sinon, on va courir tout le temps dans les centres étrangers qui sont dans nos pays.
Alors vous étiez au Cameroun il ya quelque temps avec la pièce Rhapsodie, dites nous comment vous avez ressenti cette effervescence. Vous pensez que le théâtre camerounais peut aller au-delà de ces frontières?
Déjà c’est une bonne question, j’ai eu la chance d’arriver au Cameroun plusieurs fois en tant que conteur, je suis arrivé dans certains coins que certains camerounais ne connaissent pas. Et j’ai eu à rencontrer des publics qui en demandent et qui n’ont besoin que de ça. Cela signifie que la demande est forte, il faut juste qu’on mette des moyens pour susciter les vocations et permettre à ce public de croire..
Pour répondre à votre question, je connais beaucoup d’artistes camerounais qui travaillent fortement, qui obtiennent des prix. Ça veut dire que le théâtre camerounais à travers ces auteurs fait des progrès. Ce qui fait encore plaisir est que Olivier Charly, tu étais à mon spectacle, le public était là. Il faut juste mettre les conditions techniques pour que le tout soit joué. Donc, sans risque de se tromper, je pense que le théâtre camerounais en Afrique Central doit s’estimer heureux. Et le Cameroun doit apprendre à compter sur ses artistes parce qu’ils font du magnifique boulot. Il faut juste les encourager et leur donner les moyens.
Merci Mr Abdon Fortuné KOUMBA, pour ce magnifique moment d’échange en espérant qu’on se reverra très bientôt.
Merci à vous. Je vous encourage pour le travail que vous faites, on en a besoin sur le continent. Vraiment c’est rare, je suis venu ici, vous êtes les seuls médias d’Afrique Centrale sur un événement comme celui-ci. Encore, je vous encourage et félicitations. J’espère que vous avez la chance d’être accompagné par vos responsables parce que nous savons comment c’est difficile dans nos pays.
Olivier Charly / J.N.N (+237) 691347589
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