« Rhapsodie », Une humanité recherchée dans l’angoisse d’une nuit épouvantable – la Cie Espace Tiné
Deuxième représentation au Cameroun, « Rhapsodie », la pièce de théâtre de la compagnie Espace Tiné du Congo Brazzaville a produit d’émouvants états d’âme ce 10 juin 2022 sur la scène de la septième édition du marché des Arts, Compto’Art 54. En plein cœur de la ville de Douala, précisément à la maison de la culture et de la danse de Bali.
Initialement programmée à 19 heures, la pièce « Rhapsodie » débutera après 1heure de retard. Mais lequel n’empêchera pas aux comédiennes de se mouvoir avec brio et professionalisme, afin de plonger leur public dans un profond état émotionnel.
Tout débute avec un bruitage évocateur du drame, celui d’une bête sauvage, brisant et broyant les os de sa cible et se gouffrant l’estomac avec sa chair, certainement humaine. Ce qui installe très vite la peur et l’aversion chez le public tout captif et pensif.
De la bourgeoisie au prolétariat
La pièce est jouée par trois personnages dont: Alvie BITEMO dans le rôle d’ Ada; Rebecca KOMPAORE dans le rôle d’ Eddie et Reiche MBEMBA dans le rôle de la Rhapsode. Ça et là, la bourgeoisie se heurte au prolétariat, ici nous remarquons l’expression de deux classes sociales. Ada la dame qui n’a eu que de vie paisible et qui a été servie toute sa vie par la Rhapsode, fille d’esclave et Eddie la pauvre fille sans avenir. A travers ces éléments, la pièce cherche à établir un minimum d’humanité chez les individus, malgré leurs divergences sociales. Laquelle a d’ailleurs été retrouvée chez Ada, par Eddie.

Rhapsodie, débout l’Afrique
« Rhapsodie » critique et dénonce les conditions et les abus faits aux Africains considérés comme race inférieure. A calque d’un drame bourgois, cette pièce de théâtre contemporain et de la responsabilité, invite les africains à sortir de l’aliénation dans laquelle ils sont prisonniers. C’est par ailleurs la fonction jouée par cette voix semi grave de Eddie, qui vient fortement critiquer cet espace cruel présentant une misère et une souffrance inouïes. Espace où est paisiblement installée Ada, l’ex femme bourgeoise rongée par les souvenirs de l’éradication, de l’exécution et de la liquidation .
Une pièce sur les profondeurs des textes poétiques
Dans cette mise en scène ABDON FORTUNE KOUMBHA , la pièce est fortement influencée par la poésie engagée. Et Gaëlle Octavia dans la profondeur et les tréfonds de ces textes poétiques, cherche à mettre en avant une Afrique intelligente, mais sans armes. Et la gestuelle constituée de torsion de corps, de flageole et de froissement de visages effaré montre la souffrance, la peur, la rancune, la haine et le désespoir, même dans le langage des personnages.
Un décor interpellateur
La pièce est jouée sur un espace decorativement dépouillé. Sur un fond parsemé de deux vieux rideaux noir et transparent, où l’on pouvait apercevoir un lieu zombifié et marabouté. Et cette lumière rouge projetée sur cet enclos rappelle une fois de plus la souffrance, la mort et les peines d’une nuit apocalyptique et rhapsodique.

La scène présentait aussi une saleté dégradante qui dessinait la misère et la galère d’un paysage empreint au manque d’entretien. L’insalubrité, la pauvreté, tout nous ramène en Afrique. Oui une Afrique biaisée par ces monstres froids assoiffés de pouvoir et de fortune, une Afrique où l’éducation, la nutrition et la santé sont devenues des cavernes et des genocides. Cette saleté au premier plan sur la scène montre également le manque d’accompagnement de cette discipline artistique chez nous. C’est en outre une interpellation et une exhortation auprès des responsables en charge de l’art en Afrique.
Un théâtre sous le signe des fleurs et des couleurs
Les morts nouveaux sont les vainqueurs des morts anciennes. très vite chez le public, les émotions sont fortes, la pitié, l’angoisse et le désarroi font écraser des minces larmes chaudes sur les joues des plus sensibles. Celles- ci ne sèchent que lorsqu’ils virent cette demi- folle arroser ces fleurs et contempler les couleurs symboliques de l’espoir d’une vie meilleure et d’un monde nouveau.
La lumière jaune, jalouse de cet espoir vient à cet instant illustrer ce moment. Belle créativité du régisseur lumière Davy MALONGA. Et au signal de ce monstre du fond de la toile, la joie ravit les visages de nos deux dames qui aussitôt se mirent à chanter, à chanter et à chanter de vives voix, pour magnifier la Rhapsodie de la poésie.
On y était presque…
Seulement, c’était loin d’être une réjouissance car, jamais ni les chansons, ni les mimes, ni l’espoir et ni même les fleurs et les couleurs ne réussissent à effacer les plus douloureux souvenirs des brûlures de cigarettes sur les seins, des cicatrices de la césarienne et des bleus des coups sur les jambes et sur le corps.
Et Eddy prise de peur par le simple hurlement de la bête s’enfuit au beau milieu de la nuit, dans le noir. C’est alors sur le bruitage de ces bêtes affamées que nous imaginons jusqu’à présent la suite. Mais qu’est-ce qu’il s’est passé à cette instant ? La question reste et demeure.
Cependant, en ce moment- là, la pièce se veut très ambiguïe et très complexe avec cette histoire de Njouma, qui nous fut racontée par Ada. Une histoire toute aussi profonde qui meurtrie encore plus les âmes en rendant difficile la compréhension de la pièce. Personnellement, j’ai eu l’impression d’être perdu et emporté par les émotions. Ça ne m’arrive pas souvent mais, j’étais effrayé, j’étais triste et j’ai coulé les larmes.😭
Au finish, on aurait compris et retenu que derrière ce courage d’ Ada et la peur d’ Eddy, se cachait une histoire pathétique et affreuse. Celle des souvenirs des malheurs tyranniques et épouvantables d’une mère muette qui avait perdu ses hommes, ses enfants et tout ce qu’elle avait. Aussi derrière la haine et la rage de la Rhapsode résidait le sentiment d’une exclave abusée.
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