Soir au Village : Le Coq et l’aigle
Dès l’aube de l’existence, toutes les créatures vivaient en communauté : des êtres humains aux animaux des brousses, des ailés jusqu’aux aquatiques. Et puis eh ngingilayé…
Alors ainsi vivaient depuis longtemps, dans une étroite amitié, le coq et l’aigle. Leurs familles étaient tellement unies qu’elles étaient même confondues. Le coq et l’aigle ne se séparaient qu’au moment d’aller se coucher. Ils se partageaient tout jusqu’au moment où dame haine s’implanta à leur milieu et les sépara pour toujours. Suivez-en.
Une amitié basée sur la confiance et la sincérité
Au cours de leurs promenades, pendant que les deux amis s’entendaient encore bien, au moment où il ne fallait pas s’hasarder de fourrer son nez dans une histoire qui concerne l’un des deux, au moment où l’écorce et l’arbre n’acceptaient aucun doigt entre les deux, le vieux coq et le vieil aigle se confiaient tous les secrets. Ils s’informaient régulièrement de la situation de la famille de chacun. Et le problème de l’un était celui de l’autre.
Un jour donc, lors de l’une de leurs multiples rencontres fraternelles, le vieil aigle se confia à son frère :
- « Vieux frère, comment as-tu passé la nuit, commença-t-il. Moi je n’ai pas bien dormi du tout. »
- « Qu’y a-t-il, mon frère ? » coupa le coq, inquiet.
- « Dis-moi d’abord comment vont tes enfants »
- « Ma femme et les enfants se sont levés très tôt ce matin. Ils sont actuellement au champ sarclant à grands coups de houes »
- « Moi… je ne suis pas tranquille du tout. Mon dernier fils n’est pas descendu de son lit ce matin. Il a passé toute la nuit à pleurer et il a les boutons sur tout le corps. Il chauffe beaucoup et cela ne me parait pas normal. Je ne sais pas ce que c’est et je ne sais quoi faire… »
- « Ouais, mon frère ! C’est la varicelle. Mon avant dernier enfant en a eu il y a deux ans. Il était au bord de la tombe, à bout de forces. C’est l’honorable sauterelle qui l’a soigné. C’est un fin connaisseur de ces maladies d’enfants. Elle les soigne comme un jeu… Elle n’est même pas chère dans son travail. Et comme tu es mon ami et mon vrai ami… » argumentait-il encore lorsque l’aigle sauta à son cou et se lança dans une longue liturgie de remerciements.
Grand de poignard préparé en amont
- « Merci mon frère, mille fois merci. Si ce n’était toi, qui d’autre pourrait me confier un tel grand secret. Un si grand médecin pour mon enfant, oh merci mon frère… Mais la sauterelle est rare dans notre coin-ci. C’est comme si elle a des problèmes avec les gens d’ici. »
- « Bien-sûre que oui. Elle a des comptes à me rendre pour l’enfant de mon cousin qu’elle avait empoisonné. Mais pour toi, on ira quand même la voir » finit le coq avant de murmurer pour lui-même « elle me le paiera cette fois-ci ».
Les deux amis se rendirent chez la sauterelle et conclurent du début de traitement de l’enfant pour le lendemain. Le cas est grave et il faut faire vite. Ils rentrèrent se coucher et attendre l’aube.
Une nuit de réflexion interminable
La nuit fut très longue pour le vieil aigle qui voyait son enfant mourir à tout moment. Il scrutait le ciel à chaque instant pour y voir une petite lueur du jour. Elle fut également longue pour le vieux coq qui se demandait à quel instant il pourra bondir sur la sauterelle et venger ainsi son neveu. Il épiait la moindre lueur des cinq heures du matin.
Alors…
Au premier chant de la perdrix, le vieux coq se mit dehors. Il alla se planter à l’aube du village pour attendre dame sauterelle qui aime bien faire ce genre de traitement avant le lever du soleil. Elle utilise de l’herbe fraiche. Vieux coq se cacha donc dans les herbes touffues après la première maison inhabitée qui est après les cimetières du village.
Lorsqu’il entendit le sifflotement de la sauterelle arriver à son niveau, il sortit brusquement de sa cachette. La sauterelle fit deux pas en arrière et esquiva de justesse le coup de bec du vieux coq.
- « Qu’y a-t-il » demanda la sauterelle au coq
- « Aujourd’hui tu vas payer. Tu vas me donner mon enfant que tu as tué. Je vais te manger pour le venger. »
- « Non, ne le fais pas. Laisse-moi passer, je vais soigner l’enfant de ton ami ! »
- « Non, tu ne passeras pas sans avoir réveillé mon neveu que tu as tué » conclut le coq en bondissant sur la sauterelle qui, elle, s’envola et se mit sur une feuille de bananier. Puis, sur une feuille de palmier. Ensuite sur la feuille du grand baobab du village.
De là elle s’en alla chez elle. Elle n’alla donc pas soigner l’enfant de l’aigle dont la maladie s’aggravait de plus en plus. Las d’attendre le guérisseur, le vieil aigle vint voir son ami pour s’en plaindre. Celui-ci feignit partager la même douleur et découragea son ami d’aller rencontrer la sauterelle pour le lui demander. Il lui recommanda plutôt d’attendre le lendemain pour s’y rendre au cas où elle ne viendrait pas ce deuxième.
Que non…
Le vieil aigle, voyant la vie de son enfant en danger décida d’aller chez la sauterelle contre le gré de son ami. Quelle ne fut pas sa surprise quand dame sauterelle lui eût raconté ses démêlés matinaux avec le vieux coq. Alors ils fixèrent encore rendez-vous pour le lendemain au soir.
L’intelligence de l’Aigle
A l’heure du rendez-vous l’aigle alla se cacher dans les herbes pour se rassurer de la véracité des dires de la sauterelle. Ce soir-là, sauterelle se remit en route pour aller soigner l’enfant de l’aigle. Le coq n’était pas au courant, mais il prenait de l’air à sa cour, couché sur sa longue chaise sous l’ombre de son grand manguier. Sauterelle s’engagea et commençait déjà à traverser la concession du coq lorsque celui-ci la vit. Il sauta de sa chaise et se mit à sa poursuite. L’aigle sortit de sa cachette et se mit à crier après son ami, implorant son indulgence et son pardon. Il le supplia grandement d’épargner la sauterelle afin que celle-ci aille sauver la vie de son enfant.
Vieux coq accéléra sa course et d’un coup de bec avala la sauterelle. Le vieil aigle s’agenouilla pour pleurer. Le vieux coq engloutit la sauterelle dans son estomac et s’en alla chez lui. L’aigle s’en alla aussi chez lui et quelques heures après son enfant rendit l’âme. Il porta le cadavre et vint chez son ami le coq en pleurant. Il déposa le corps au seuil de l’entrée principale de son ami, pleura quelques minutes et s’en alla. Il enterra son cadavre. Il prit toute sa famille et s’envola vers la cime des grands arbres pour se protéger.
Mais ce jour-là il jura d’exterminer la famille du coq, de générations en générations. Il jura de transmettre sa haine à sa descendance de générations en générations. Et, jusqu’aujourd’hui, l’aigle happe et emporte tout poussin qui se trouve à sa portée. Et il le fera toujours jusqu’au jour où, peut-être, l’esprit du pardon entrera dans le cœur de l’une de sa progéniture. Mais ceci est-il possible ?
Avec Ekum’Ekol’a Ndende, conteur émérite et amoureux de la transmission intergénérationnelle de connaissances ancestrales et transfuge de nos tradition
1 commentaire
Très beau conte ça me rappelle mon enfance. Assis sous le manguier à 19h avec ma défunte grand mère.
Olivier Charly tu es formidable🤞😙