« Que Nos Enfants Soient les Géants », un spectacle béninois contre les influences des forces hexogènes
Pour sa 3ème présentation, la pièce théâtrale « Que Nos Enfants Soient Les Géants » du béninois Sèdjro Giovanni Houansou a été jouée le 02 octobre 2022, sur le plateau de la 12e édition du Festival Récréâtrales.
Un espace sombre laisse entendre une voix désespérée du personnage Madiba incarné par Zinsou Adekambi Carlos. Laquelle transgresse les tympans et crée une rhétorique à travers ces paroles : « Je m’en vais ». Lesquelles donnent corps à ce spectacle d’ 01h45 minutes, dans la cour de la famille Ouango.
La prestance et le charme du dialogue des acteurs
La pièce convoque d’emblée une grosse curiosité dès son entame par cette répétition de « Je m’en vais ». Et contrariée dès le début, madame Traoré, une spectatrice dit « Je vais même comprendre cette pièce dans sa démarche ». Les paroles ainsi énoncées invoquent une profonde réflexion et « Pourquoi leurs enfants doivent-ils être les géants ? » ; « Où va donc Madiba et pourquoi ? » ; « Serait- il une façon de remettre en question la grandeur ou l’engament de l’élite africaine ou alors une façon d’inciter la jeunesse au surpassement ? » Tels sont en effets quelques questionnements soulevés par grand nombre.
Cependant sur le regard fustigeant de la foule et malgré les excuses de la présentatrice, après un retard d’une vingtaine de minutes, on peut entendre des plaintes du genre : « À l’heure où la représentation ci commence, c’est pour finir à quelle heure » : murmurait Anaba, une voisine de siège. Heureusement malgré ce retard, les artistes ont su occuper ce grand schéma scénique avec professionnalisme et une forte présence scénique au point où le public n’a finalement pas vu le temps passé.
L’éloquence de ceux- ci était d’une perfection absolue et le jeu d’acteur aussi. D’ailleurs une présence d’une femme qui interprétait avec tact le rôle d’un homme rendait le dialogue « waoouh ». Et la présence d’un griot arrache chez le public, un maximum de réaction et d’interaction. Le public emporté par la gestuelle des 06 acteurs n’a pas manqué de manifester sa satisfaction à travers des applaudissements.
Quelques thématiques visitées
Dans son développement, la pièce offre une balade superficielle sur plusieurs thèmes tels que l’injustice, la corruption, l’influence des pouvoirs, les traditions etc. Et le drame, la tragédie interviennent lorsqu’accidentellement, un homme humilié par l’infidélité de sa femme, impuissant abat celle-ci d’un sang-froid. Et également à la fin de la pièce lorsque Elvire l’épouse de Madiba descend celui-ci sous l’effet de la colère.
Lesdits actes sanglants et irréfléchis sont amplifiés et condamnés par un fort grondement de tonnerre qui entraine chez le public, la peur et la frayeur. Ce qui montre bien qu’il ne s’agit pas seulement d’une mort physique mais aussi spirituelle.
Tout au long, l’on observe la succession d’une dizaine de scènes qui font transparaitre les visages d’une femme autoritaire influencée par la vie citadine et ses déviances et celle d’une femme soumise et attachée aux cultures.
C’est en effet la parallèle entre la femme moderne acculturée et la femme rurale, vertueuse et conseillère de son époux. Les scènes font également un focus sur l’image de la femme infidèle et d’un homme politique mitigé et manipulé par les lobbies, les démagogues aisés et les femmes assoiffées de pouvoir et des titres.
Et à travers ces facteurs socio – culturels et politico- religieux, Sèdjro Giovanni Houansou démontre l’influence des pouvoirs dans nos vies et notamment dans nos décisions. Car selon lui : « L’idée est d’explorer les contours des pouvoirs politiques, financiers, sociaux et ses conséquences au niveau macro». Une parallèle faite sur la vie de la femme dans la société. Et cette approche qui tend à remplacer la domination masculine par une domination féminine. « C’est d’ailleurs une trahison du féminisme qui tend à équilibrer les rapports de forces entre les sexes » : dit- il d’un air enragé.
Sur la profondeur d’une scénographie au reflet rêveur
Le décor bien adapté était constitué, d’un mini bar sur le côté gauche et des dispositifs représentants les cases à droite. Elle était aussi balayée par une variation de projection de lumières blanches et jaune symbolisant le souhait, la paix et l’engament. En fond se trouvaient des cadres transparents reflet des miroirs qui s’accommodent aux barrières qui s’installent de manière négligeable et progressive dans nos ménages.
Et plus loin, on pouvait apercevoir une silhouette d’un homme, accompagnée d’une voix désespérante et répliquant plusieurs fois « Je m’en vais, je m’en vais, je m’en vais ». Et des plaques de fond blancs qui transmettaient une sensation de transition entre la vie et la mort. Oui Madiba n’en peut plus des vicissitudes de la vie et des déviances du monde, il s’en va…
Des scènes au mariage perplexe
Après le drame, un homme vêtu de noir, yeux orientés vers l’amont du fleuron, s’est mis à murmurer sous un arbre. « Que fait- il, à qui parle-t-il » : se demande le public. Aussi, sur un mini podium, un homme vêtu de costume royal s’entoure de sa reine et ses servantes exécutent des gestes au ralenti. Des actions qui rendent la pièce un peu ambigüe et incomprise.
Cependant par rapport à l’homme sous l’arbre, « Il parlait aux esprits des morts, en Afrique les héros ne meurent jamais » dévoile Giovanni. La seconde scène quant à elle dirige vers le rêve. Elvire, l’épouse de Madiba en a fait un moyen pour ressasser les souvenirs de ses rêves agités. En ce moment, on peut remarquer une haine accrue à travers une forte agressivité dans ses paroles. Et sa posture sur sa chaise montre à suffisance l’autorité de celle-ci sur la vie politique d’une nation.
La pièce a baigné le public dans la cuisine interne des décideurs et des réalités gouvernementales des Etats africains. Celles d’une Afrique aux grand maux tels que l’injustice, la corruption, le pouvoir des forces hexogènes, le trucage des élections, la violence, la trahison…
La pièce telle que pensée par Sèdjro Giovanni Houansou dénonce l’influence des pouvoirs dans nos vies, dans nos ménages et surtout sur l’avenir de nos enfants. Une exhortation à dire non à ses modèles qui moulent nos vies et nos cultures. D’où l’armement de nos jeunes générations car pour lui, «On peut tolérer la rébellion dans un pays où l’urgence se fait ressentir».
Article rédigé dans le cadre de l’atelier “Médias et Théâtre” organisé par l’Association Nord Ouest Cultures, NO’OCULTURES, à l’occasion de la 12è édition des RECREÂTRALES, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).
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